Aménageurs, fournisseurs de services urbains, urbanistes et bien sûr élus ne jurent que par elle : la « smart city », cette ville intelligente, pleine de promesses de citoyens connectés, où la vie urbaine redevient vivable et où il fait bon vivre.
Oui mais voilà, il y a un hic ! « La smart city peine à séduire les Français » résumait Le Monde il y a un an, en reprenant une enquête réalisée par l’Observatoire société et consommation (L’Obsoco) et le cabinet d’études et de prospective Chronos : « alors que plus des trois quarts des Français vivent en ville, les urbains rêvent majoritairement de changer d’air. L’aspiration à « déménager et aller vivre ailleurs » concerne 56 % des répondants dans Paris, 59 % dans les villes centres de seize autres métropoles, 55 % des habitants de communes appartenant à un grand pôle urbain… ». Bref, alors que la smart city semble être la voie vers une meilleure qualité de vie en ville, les urbains, eux, ne veulent plus l’être !
Il faut dire aussi qu’on a bien du mal à se la représenter cette ville connectée idéale. Et c’est bien là un des grands défis de communication publique à relever : comment se projeter dans un projet qui ne « se voit pas ».
Le spleen de la modernité citadine
Dans les grands projets d’aménagement ou d’infrastructure (construction de stades, de lignes de tramway etc…), le projet se construit « sous les yeux » des habitants, au sens propre, à coups de marteaux piqueurs et de camions de gravats. On gère la communication « bien comme il faut » : on explique (les nuisances), on décrit (le projet), on projette (dans l’après-travaux), on planifie (les grandes étapes). Tout ça est bien rodé et parfaitement maitrisé. C’est la communication chantier.
Mais les projets de smart city sont invisibles pour les habitants, en particulier parce qu’ils ne subissent pas de nuisances liées aux travaux. C’est tout le paradoxe : on devrait se réjouir de réaliser un grand projet qui transforme la ville sans gêner les habitants mais finalement on se désespère de ne pas le voir se faire ! Les projets smart city n’existent donc aux yeux des citoyens que parce qu’on leur en dit.
Or trop souvent, la communication autour des projets de smart city se contente de comptabiliser des capteurs, se réjouit de toute sa technique mise en œuvre et se gorge de vocabulaire numérique abscond. Ce faisant, elle génère au mieux le désintérêt, au pire le rejet des habitants qui n’arrivent pas à voir où est leur intérêt alors qu’eux, de ce qu’ils disent, rêvent plutôt d’un retour à la nature. Selon Philippe Moati, cofondateur d’Obsoco, « Il y a un gouffre entre les attentes des citadins et ce que leur offrent les acteurs de la ville […] le désarroi des citadins, justifié par l’écart domicile-travail, la cherté de la ville, la pollution, la congestion des trafics, s’accroît. »
Pour une généralisation de l’« UX citoyens »
Pourtant, le citoyen est le seul dénominateur commun à tous les projets smart city dans le monde. C’est d’ailleurs l’essence même de la ville intelligente -en tout cas celle à laquelle je crois. Il est donc primordial de faire participer les habitants au processus d’élaboration de ces projets, de leurs projets de ville, celle dans laquelle ils vivent et auront envie de rester et d’élever leurs enfants.
Patrick Le Galès, directeur de recherche au CNRS et professeur à Sciences Po Paris, a mis en lumière ce nouvel impératif de communication. Pour lui, « la société devient plus horizontale, avec des réseaux, des groupes de population plus difficiles à encadrer, qui souhaitent s’exprimer et participer à sa construction ». La smart city doit nous amener tous, élus et experts de concertation et de la communication, à une nouvelle approche de l’implication citoyenne dans les projets d’aménagements urbains.
A l’heure où la fracture se creuse entre les citoyens et leurs représentants, il faut que la concertation en continue devienne la norme pour que les habitants contribuent plus activement à la « vie de la cité ». Plus précisément, la démocratie participative doit se généraliser, pas seulement pour faire voter des budgets participatifs, mais plus largement dans les grandes décisions qui concernent leur ville.
Comment ?
Intégrons des habitants, tirés au sort sur les listes électorales, dans les comités de pilotage des projets ! Formons les si besoin sur les aspects techniques ! Ne nous privons pas de leur regard et de leur expérience de la ville. Plus les citoyens participeront aux décisions et au fonctionnement de la vie publique, plus ils se sentiront concernés par ce qui les entoure. Enfin bon, vous l’aurez compris, faisons des Smart City humaines qui auront été créées et pensées par les habitants qui y vivent au quotidien !
Les solutions technologiques existent, les offres sont structurées, lançons des plateformes de démocraties participatives dans chaque grande ville sur les grands projets ! Développons des démarches actives qui impliquent les citoyens !
Qu’est-ce qui nous en empêche ? Rien !… enfin si, un peu la peur : la peur de la contestation, la peur de l’idée qui va chambouler le projet, la peur de perdre du temps, de devoir expliquer, de devoir investir ou de revoir des équilibres financiers, de devoir se justifier…
Mais alors, dialoguons ! Proposons des alternatives aux réunions publiques dont les participants, avouons-le, ne sont plus vraiment représentatifs des habitants. Là aussi des solutions existent, elles méritent d’être testées, surement de s’améliorer mais doivent nécessairement se développer.
Ayons aussi recours à des ateliers de créativité avec des usagers de la ville, écoutons par exemple les enfants qui comptent pour moitié (au moins !) des humains qui vivent en ville et sont souvent oubliés des politiques d’aménagement.
Mais ne gardons pas ces projets urbains de smart city (ces projets urbains tout court d’ailleurs), qui touchent à l’humain, se décider entre quelques-uns. Il va nous falloir accepter de passer les projets urbains au crible de l’UX citoyens !
Parce qu’associer les usagers de la ville à sa transformation, c’est déjà, j’en suis convaincue, un premier pas pour reconquérir l’engagement démocratique. C’est donc peut-être aussi dans la smart city que se joue l’avenir des rapports entre les citoyens et leurs représentants politiques…
Pour aller plus loin :
Sur L' »Initiative pour une démocratie durable » qui propose une alliance entre acteurs de la « civic tech » et pouvoirs publics : http://ow.ly/ldKo30mE4YK
Interview de Isam Shahrour, professeur de génie civil : “Si on n’arrive pas à faire adhérer le citoyen à la smart city, c’est qu’on a échoué” http://ow.ly/m38L30mE50z
Sur L’Observatoire société et consommation (L’Obsoco) : http://ow.ly/h39Y30mE51O